on content d’avoir envoyé Héraclès aux confins méridionaux, septentrionaux
et orientaux, Eurysthée exige cette fois-ci qu’il mette le cap
vers les régions inexplorées d’occident. Pour son dixième travail,
usé par quasiment sept années d’épreuves, le héros se voit ainsi
obliger de gagner les mystérieuses terres de l’ouest et, plus
précisément, l’île d’Erythie (l’actuelle Cadix, en Andalousie) car
c’est là-bas qu’il est sommé de capturer le plus beau troupeau
du monde. Et la tâche s’annonce plus rude qu’il n’y paraît car
les superbes bœufs au pelage écarlate sont jalousement gardés
par le monstrueux Géryon, fils du titan Okéanos et qui a eu la
particularité de naître avec trois têtes, six bras et trois corps
unis à la taille ; autant dire qu’il ne laisserait personne lui
confisquer son bien le plus précieux.
Héraclès s’élance donc en solitaire sur la Méditerranée afin d’atteindre
au plus vite ces lointaines contrées où, chaque soir, Hélios (le
soleil) et ses formidables montures terminent leur course effrénée.
Bien vite, le héros s’ennuie sur sa barque et la monotonie des
vagues le rend de plus en plus nerveux ; il décide d’abréger sa
croisière en s’échouant sur les côtes les plus proches et il débarque
donc en Libye sur le continent africain. Il n’était décidément
pas un grand marin et son attrait pour l’aventure se limitait
à la terre ferme : rien de tel qu’une bonne marche pour se dégourdir
les jambes. Durant plusieurs jours, il longe les côtes africaines
qui le mènent vers l’ouest, son trajet est à peine interrompu
par quelques fauves affamés qui ont la malchance de tomber sous
le joug de sa massue. Quand Héraclès atteint enfin le bout de
la Méditerranée, là où Atlas soutient la voûte céleste (dans l’actuel
Maroc), il repasse sur le continent européen par l’intermédiaire
d’une petite bande de terre qui relie encore le sud de l’Espagne
et l’Afrique du nord, il se résout à laisser une trace de sa venue
dans ces contrées : en écrasant ses deux énormes poings au sol
il ouvre en deux l’écorce terrestre ; la secousse, comparable
à un séisme, fait trembler le monde entier et forme ainsi deux
colonnes rocheuses appelées depuis "les colonnes d’Hercule"(de
nos jours Ceuta et Gibraltar). Mais en séparant l’Europe de l’Afrique,
Héraclès a involontairement ouvert ce qu’on appelle aujourd’hui
le détroit de Gibraltar, en effet, la Méditerranée, jadis immense
lac d’Europe, s’engouffre rapidement entre les deux colonnes et
se convertit alors en mer ouverte sur l’océan Atlantique.
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Les colonnes d'Hercule,
dessin, Michel Corneille II, XVIIème siècle. |
Héraclès
ouvrant le détroit de Gibraltar, huile sur toile,
Zurbarán, 1637. |
Le soleil torride qui règne sur la région de Tartessos (dans l’actuelle
Andalousie) force Héraclès à trouver un refuge à l’ombre. Cependant,
à peine a-t-il entamé sa sieste que déjà un rayon ardent lui martèle
le visage et bien qu’il change de place, le soleil réapparaît
pour l’éblouir à nouveau : Hélios chercherait-il à l’observer ?
Toujours est-il que, bientôt assommé par la chaleur et irrité
par cette farce, le héros décide de menacer l’astre du jour ;
en plissant les yeux il pointe l’une de ses flèches vers le ciel
et bande lentement son arc vers le Soleil…Ce dernier, à la fois
admiratif et surpris par l’audace du héros, lui somme de ne pas
tirer, il lui déclare même que la témérité de son comportement
lui vaudrait un présent ; c’est ainsi qu’Hélios, loin d’être offensé
par le geste d’Héraclès, lui offre une gigantesque coupe d’or
qu’il dépose dans l’océan : le héros pourra désormais traverser
l’océan sans aucun souci ; d’ailleurs, il se hâte à embarquer
sur l’étrange navire qui, légèrement poussé par une force mystérieuse,
se dirige vers l’île d’Erythie déjà en vue.
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Héraclès
dans la coupe d'or d'Hélios, céramique
à figures rouges, Vème avJC. |
Il atteint rapidement les rivages du domaine de Géryon et entame
une longue marche qui le mène jusqu’à un petit monticule. La colline
lui offre une vue parfaite de toute l’île, il commence alors à
scruter chaque zone de verdure susceptible de nourrir les merveilleux
bovins du géant et il aperçoit bientôt, dans un coin de l’île,
l’énorme troupeau gardé par un berger endormi et un étrange chien
à deux têtes. Le monstrueux animal, qui répond au doux nom d’Othro,
paraît sans cesse être à l’affût de quelque danger et ses deux
museaux semblent sonder chaque parcelle du territoire en une seule
inspiration. D’ailleurs, Héraclès va pouvoir constater l’efficacité
de l’odorat du chien car celui-ci a déjà senti sa présence et
se lance vers lui en aboyant furieusement. Quand la bête se trouve
à bonne distance, le héros brandit sa massue et l’écrase sur les
deux têtes du monstre bicéphale ; le coup est si fort qu’il résonne
dans toute l’île et alerte Eurythion, le bouvier de Géryon, qui,
de ses pas de géant, s’empresse de venir au secours d’Othro. Mais
malheureusement pour lui, à peine a-t-il le temps de découvrir
la dépouille mortelle du chien qu’il reçoit sur le crâne un coup
de massue. Inspectant les deux corps inertes des gardiens du troupeau,
Héraclès soupire de soulagement : à partir de maintenant, les
superbes bœufs étaient en sa possession, il lui suffisait donc
de les regrouper dans le bol d’or d’Hélios afin de rejoindre le
continent et d’entamer le chemin du retour…mais voilà, le héros
ignore qu’un bouvier du nom de Ménoitès est parti prévenir Géryon
du double meurtre dont il a été témoin : il était tranquillement
en train de surveiller les bœufs de Hadès (prince des Enfers)
quand il aperçût, au loin, un sauvage qui frappait de toutes ses
forces les malheureux Othro et Eurythion. Le géant se lève brusquement
de son trône à la fin du récit du bouvier et, dans un immense
fracas, Héraclès voit débouler sur lui une montagne à trois têtes
et dont le comportement ne lui laisse que peu de choix ; le héros
bande alors son arc et, avant que le monstrueux roi d’Erythrée
n’arrive à sa hauteur, il décoche trois flèches qui viennent se
planter au milieu des trois fronts répandant instantanément leur
venin mortel. Géryon s’écroule dans un dernier triple soupir laissant
Héraclès s’éloigner avec le superbe troupeau qui avait fait sa
gloire.
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Hercule et Géryon,
huile sur toile,
Zurbarán, 1637. |
Hercule luttant contre
Géryon, amphore
à figure noires, 550-540 avJC. |
Ayant chargé la totalité des bœufs dans le bateau rond, Héraclès
s’embarque à son tour sur l’instable embarcation qu’il lance à
nouveau sur la Méditerranée. De retour sur le sol ibérique, le
héros prend le soin de ne pas oublier une seule tête de bétail
dans le bol d’or qu’il restitue ensuite à Hélios en lui exprimant
toute sa gratitude. Commence alors pour Héraclès le long chemin
du retour dans lequel tous les peuples qu’il croise cherchent
à lui voler de si belles bêtes ; il guide son troupeau vers le
nord traversant l’actuelle Espagne et franchit les Pyrénées pour
atteindre la Gaule qu’il longe simplement par la côte sillonnant
la région d’Alébion, plus connue aujourd’hui sous le nom de Provence.
Hormis quelques tentatives de rapts perpétrées par les fils de
Poséidon le voyage se passe plutôt bien jusqu’à l’arrivée en Italie.
Car c’est en Toscane que le héros va vivre l’une de ses aventures
les plus célèbres qui va le confronter à Cacus, le voleur de vaches.
Cet épisode spécifiquement romain nous conte comment Héraclès
poursuit le larron jusque dans l’Aventin (l’une des sept collines
de la future Rome) afin d’y récupérer les quelques bœufs si difficilement
acquis sur l’île d’Erythrée. D’ailleurs, le héros fait payé le
prix fort à Cacus pour ce léger contretemps…en lui écrasant sa
massue sur le crâne. Cependant, les soucis d’Héraclès ne s’arrêtent
pas là ; quand il s’apprête à remonter son troupeau vers le nord,
l’un des bœufs prend la fuite vers le sud, à l’opposé du chemin
du retour. L’animal, poursuivit par le héros et le reste du troupeau,
se jette alors à la mer et nage vers la Sicile en espérant s’y
perdre définitivement.
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Hercule et Cacus,
huile sur toile,
Nicolas Poussin, XVIIème siècle. |
Hercule et Cacus,
huile sur toile,
Hendrick Goltzius, 1613. |
Mais la légendaire ténacité du héros lui interdit de laisser échapper
ne serait-ce qu’une seule bête, il lance donc son bétail à l’eau
et plonge à son tour dans la mer ; accroché à l’une des cornes
d’un bœuf il navigue vers l’île aux trois cornes. A son arrivée
en Sicile, les problèmes vont se poursuivre avec le vol de plusieurs
bêtes par le célèbre monstre marin Skylla (ou Sylla), mi-jeune
fille mi-chienne ; comme à son habitude Héraclès ne fait pas dans
les détails et tue l’odieuse hybride (que son père Phorkys fera
bouillir et ressusciter : il faut bien que Skylla reste en vie
pour attaquer, plus tard, l’embarcation d’Ulysse). L’épisode sicilien
du héros se résume en une série de combats (dans les cités d’Himère,
de Syracuse…) et de victoires sur les nombreux chefs indigènes
et la fondation de nouveaux cultes censés civiliser les barbares ;
toujours est-il qu'Héraclès et son troupeau de nouveau au grand
complet regagnent la côte sud de l’Italie… à la nage.
De retour sur le continent, entre Rhégion et la Locride (dans la Calabre actuelle, sur la pointe
sud de la botte), le héros est gêné dans sa sieste par les cigales
qu'il chasse à jamais de la région. Poursuivant son chemin vers
le nord, Héraclès et son troupeau atteignent Crotone où un certain
Lakinios fait la connaissance de la massue du héros après avoir
tenté de voler quelques bêtes, puis ils traversent sans encombre
le reste de la péninsule pour contourner le fond de la mer Adriatique
par voie de terre ; Héraclès laisse derrière lui de nombreuses
traces de son passage en fondant notamment les cités de Pompéi,
d’Herculanum et d’Héraclée….
Le robuste bouvier poursuit sa longue et lente marche en longeant la côte est de la mer Adriatique ;
il atteint paisiblement les frontières grecques sur les rives
de la mer Ionienne quand intervient la perfide Héra : elle envoie
un taon qui provoque une énorme panique dans le troupeau, les
bœufs s’affolent, fuient et s’éparpillent dans la nature. Mais
Héraclès ne se décourage pas pour autant, pendant plusieurs semaines
il poursuit sans relâche les bêtes apeurées jusque dans les montagnes
de Thrace et il parvient à grand peine à en rassembler suffisamment
pour reprendre le chemin vers Mycènes ; le reste des bœufs laissé
sur place devint sauvage. Fatigué et éreinté par ce très long
voyage, le héros s’en prend au fleuve Strymon : irrité par ses
maintes traversées à la nage il jette dans l’eau tant de pierres
qu’il se fabrique un pont assèchant définitivement la rivière.
Le bouvier et ses bêtes peuvent ainsi franchir le Strymon au sec ;
en laissant une rivière pierreuse derrière lui, Héraclès dépose
une nouvelle fois la marque de son passage.
Le reste du voyage se déroule sans entrave et le héros arrive
à Mycènes avec la quasi-totalité du troupeau de Géryon et malgré
les nombreuses tentatives de vols dont il a été victime le dixième
travail arrive à son terme. Eurysthée commençait à trouver le
temps long quand on le prévint que le héros attendait aux portes
de la ville. Le roi, fit introduire l’immense troupeau, admira
leur beauté et ordonna de les sacrifier en l’honneur d’Héra. Quelle
récompense plus merveilleuse pour le héros que de voir ces bœufs,
si difficilement conduits jusqu’en Grèce, sacrifiés à cette si
charmante déesse ?