près déjà plus de huit années d’épreuves épuisantes, Héraclès
se voit ajouter à ses dix travaux accomplis deux autres tâches
supplémentaires, Eurysthée n’ayant pas validé ceux de l’Hydre
de Lerne et des écuries d’Augias. Et cette fois, le roi de Mycènes
place la barre très haute : il contraint le héros à deux voyages
dans l’Au-Delà dont le premier consiste à découvrir le jardin
des Hespérides afin d’y dérober les mystérieuses pommes d’or.
Héraclès part donc à la recherche de cette obscure terre d’Occident
dont il ignore totalement l’emplacement ; il quitte alors Mycènes
pour se diriger vers le nord de la Grèce.
Quittant les terres familières grecques, Héraclès atteint la Macédoine
en quelques jours de marches. Sur place, au passage du fleuve
Echédôros, le héros va essuyer son premier contretemps : un certain
Lycaon se présentant comme le fils d’Arès (Dieu de la guerre)
prétend le battre en duel. Avivé par le défi, le sourire aux coins
des lèvres, Héraclès se lance à toute allure sur l’ambitieux personnage
pour lui faire goûter sa fameuse masse. Cependant, il s’aperçoit
très vite que ses formidables coups sont tous esquivés et que
ce Lycaon se permet même le luxe de le frapper en retour… or seul
un dieu peut rivaliser avec la force d’Héraclès. D’ailleurs Zeus,
qui observe cette étrange scène depuis le mont Olympe, se rend
très vite compte que c’est en fait Arès qui dirige le combat de
son fils. S’en est trop ! il prend son foudre et, tel un lanceur
de javelot, l’envoie entre les deux lutteurs en signe d’interruption
du combat. Abandonné par son féroce adversaire et encore ébloui
par l’éclair divin, Héraclès constate avec joie que son illustre
géniteur veille toujours sur lui. Après cet épisode, le héros
s'interroge sur la direction qu’il va emprunter ; et même si le
passage du fleuve Echédôros l’orientait plutôt vers l’est, c’est
bien vers l’ouest qu’il poursuit son chemin.
Longeant
la côte Adriatique vers le pays des Illyriens (dans l’actuelle
Bosnie-Herzégovine) il atteint assez rapidement le fleuve mythique
du nord-ouest : L’Eridan qui évoque à la fois le Pô et le Rhône.
Héraclès remonte le mystérieux fleuve jusqu’à sa source, guidé
par le chant envoûtant des naïades. Ces dernières s’avancent doucement
vers le héros, virevoltent autour de lui, frôlent son corps, mais
leur charme ne perturbe pas l’impassibilité d’Héraclès ; froid
comme le marbre il questionne les nymphes aquatiques sur le jardin
des Hespérides, sur ses pommes d’or et sa localisation. Mais les
naïades continuent leur ronde, couronnées de fleurs, fredonnant
les paroles d’une étrange sérénade…. Devant l’agacement évidant
du héros, les gracieuses néréides vont lui livrer, toutes en chœur,
une information importante : bien qu’elles ne connaissent pas
l’emplacement du jardin des pommes d’or, elles connaissent un
personnage nommé Nérée, Vieillard de la mer, qui pourrait l’aider
dans sa quête ; elles lui indiquent avec un inquiétant sourire
l’endroit où le vieux sage à l’habitude de dormir. Sur ces derniers
mots Héraclès se lance sur les traces de ce mystérieux Nérée qu’il
compte bien faire parler quoiqu’il advienne.
Après seulement une centaine de pas, le héros aperçoit
un vieil homme endormi profondément dans une petite grotte, une
longue barbe et de longs cheveux ne pouvait cacher son visage
creusé par le temps. Héraclès s’approche lentement, à pas de velours…
quand CRAC ! une branche cède sous son poids réveillant brusquement
le vieillard. Pris de panique, ce dernier utilise la ruse classique
des divinités marines : la métamorphose. Malheureusement pour
lui, les mains robustes du héros tiennent déjà solidement ses
membres et il a beau s’épuiser à se changer en pierre, en animal
sauvage ou en en plante verte, il ne parvient pas à se libérer
de l’étau qui le tient prisonnier. Vaincu par la force herculéenne,
Nérée accepte de livrer quelques renseignements.
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Hercule luttant contre
Nérée, lécythe à figures
noires, 500-490 avJC. |
Sans
lâcher le vieux magicien, Héraclès apprend que les pommiers aux
fruits d’or sont gardés par un serpent aux cent cris différents,
dans un jardin de l’Extrême Occident où vivent les nymphes Hespérides("Occidentales").
Mais ces informations un peu vagues laissent Héraclès dans le
flou et Nérée profite de ce moment d'inattention pour se transformer
en serpent et se faufiler entre deux pierres. Peu importe, le
héros se dirige déjà vers les terres de l’ouest qu’il a eu l’occasion
de visiter lors de son périple dans le royaume de Géryon. Après
quelques jours de voyage il atteint la région de Tartessos (dans
l’actuelle Andalousie) et, sans le savoir, il est tout proche
du jardin des Hespérides. Cependant, il ne parvient pas à découvrir
l’entrée du lieu sacré que lui a décrit Nérée et, bien vite, il
se met à tourner en rond fouillant chaque recoin du sud-ouest
de la péninsule ibérique. Le héros est dans l’embarras : bien
qu’il sache où se situent
les pommes d’or il ne sait pas comment y parvenir. Il se résout
donc à aller consulter le Titan Prométhée, frère d’Atlas, qui
sera certainement en mesure de l’aider dans sa quête ; le seul
souci est que Prométhée se trouve enchaîné sur le Caucase, à l’autre
bout de l'Europe….
En
quelques jours, Héraclès franchit le détroit de Gibraltar d’où
s’élèvent les colonnes à son nom, et parcourt toute l’Afrique
du nord en longeant le littoral. Il traverse sans incident la
Mauritanie, la Petite et la Grande Syrte (l’actuelle Tunisie et
l’ouest de la Libye) avant de se voir retarder à l’est de Cyrène,
en Libye, par le géant Antée (ou Antaios), fils de Gaia, la Terre.
Ce roi cruel a pour habitude de couronner le temple de Poséidon
avec les crânes des pauvres voyageurs qui traversent sa région.
Le héros, bien loin d’être impressionné, accepte sans hésiter
le combat que lui propose le libyen et il n’a d’ailleurs pas beaucoup
le choix s’il veut poursuivre sa route. Les deux guerriers s’empoignent
et, à la manière des lutteurs classiques, Héraclès tente de projeter
le colosse au sol ; mais bien vite il s’aperçoit que c’est peine
perdue : à chaque fois, Antée retrouve ses forces au contact de
sa mère, la Terre. Pour le vaincre, le héros procède à l’inverse
de la lutte habituelle, il saisit le géant à la taille, le soulève
et le maintient suspendu ainsi, sans plus aucun contact avec le
sol. Sentant ses forces l’abandonner, Antée tente en vain de se
défaire de l’étreinte fatale de son adversaire ; Héraclès ne lâche
prise qu’au moment où le fils de Gaia n’est déjà plus de ce monde.
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Hercule et Antée,
bronze,
Jean De Bologne, XVIème siècle. |
Hercule soulevant Antée,
Zurbarán, 1637. |
Une spectatrice inattendue a suivi avec passion le combat qui
vient de s’achever : c’est Iphinoé, la femme du géant. D’abord
attristée par la mort de son époux, elle ne peut résister longtemps
au charme de son vainqueur. A peine a-t-il rendu à la Terre la
dépouille de son fils que le héros voit cette femme se jeter à
son cou et s’offrir à lui ; de cette union naîtra un fils du nom
de Palaimon.
Fatigué par son combat et par sa nuit d’ivresse
amoureuse, Héraclès s’endort à même le sol dans un sommeil lourd
et régénérateur. C’est alors qu’il est attaqué sans s’en rendre
compte par une horde de pygmées venu du sud-ouest de l’Egypte ;
les petits hommes profitent du repos du héros pour ligoter solidement
ses poignets et ses chevilles. Ce dernier se réveille, sentant
des fourmillements sur tout son corps, et se libère sans peine
de ses liens. Il observe calmement la fuite des pygmées et range
les cordelettes (pour les enseigner à Eurysthée) dans un pan de
sa peau de lion en souvenirs de cet étrange épisode.
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Hercule attaqué
par les Pygmées, gravure de Cornelis Cort (d'après
Flans Floris), 1563. |
Héraclès
reprend son voyage à rebours d’ouest en est et se dirige vers
la grande et glorieuse Egypte où règne le terrible pharaon Bousiris ;
celui-ci sacrifie les étrangers sur l’autel de Zeus car, selon
un oracle, c’était la seule manière d’en finir avec la disette.
Ce fut d’ailleurs un chypriote nommé Phrasios, devin professionnel,
qui prophétisa à la cour du roi ; en remerciement, il fut le premier
étranger égorgé par le pharaon.
Dès
qu’il a franchi les frontières qui séparent la Libye de l’Egypte,
Héraclès est immédiatement arrêter par les autorités du pays.
On lui lie ses poignets derrière le dos et on lui impose une marche
forcée sur Per-Ousere (aujourd’hui Abousir), lieu de résidence
du sanguinaire Bousiris. Bien loin de se rebeller, le héros constate
avec amusement que les coutumes locales sont décidément très enclines
au ligotage des voyageurs et il est bien loin d’imaginer qu’on
le mène sur l’autel des sacrifices. Escorté par une centaine de
guerriers, il est présenté au pharaon à l’intérieur de son somptueux
palais, et c’est en son honneur que Bousiris lève un fastueux
banquet rempli des mets les plus succulents. Tel un mort de faim
Héraclès se jette sur la table et avale tout ce qu’il peut, ingurgite,
dévore, croque à pleines dents dans un tel élan de gloutonnerie
que beaucoup en sont écœurés. Cependant, bien loin d’être un message
de bienvenue ce repas semble plutôt s’apparenter au dernier festin
d’une victime qu’on engraisse avant de sacrifier au dieu. D’ailleurs,
Bousiris ordonne déjà à ses valets de placer l’insatiable héros
sur l’autel du temple tel un bœuf pendant l'hécatombe. A ce moment,
le héros prend conscience de la menace qui pèse sur lui ; il attend
patiemment le moment opportun, et quand le pharaon en personne
lève sa lame tranchante au-dessus de sa gorge, il brise ses liens
et écrase son poing sur le visage de Bousiris, le tuant sur le
coup ; il procède de même avec le fils du roi nommé Amphidamas,
réglant par avance les problèmes de succession. Profitant du chaos
occasionné par le crime de lèse-majesté, Héraclès s’enfuit du
palais pharaonique et, au pas de course, il atteint rapidement
l’Arabie laissant derrière lui l'Egypte orpheline de son souverain.
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Héraclès
luttant contre Busiris, amphore à figures noires,
Vème siècle avJC. |
De l’éprouvante
traversée du héros dans les régions désertiques d’Arabie on ne
retiendra que sa rencontre fortuite avec un certain Emathion,
fils d’un prince troyen, dont le goût pour les défis au combat
lui coûtera la vie. Héraclès, pour calmer les esprits, intronise
Memnon, le frère du roi défunt, et il poursuit son chemin vers
le nord où il aperçoit déjà, dans le lointain, les sombres montagnes
du Caucase.
En escaladant quelques rochers, il finit par apercevoir, enchaîné
contre la paroi d’un sommet, le Titan Prométhée. Ce dernier avait
était sévèrement puni par Zeus pour avoir appris aux hommes l’usage
du feu ; prisonnier pour l’éternité, il devait subir un supplice
terrible : son foie était dévoré par un aigle puis régénéré chaque
jour pour que se perpétue le châtiment.
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Héraclès
et Prométhée, fresque, Annibale Carracci,
XVIIème siècle. |
Hercule délivrant
Prométhée, dessin, Toussaint Dubreuil,
XVIème siècle. |
Hercule et Prométhée,
huile sur toile, Christian Griepenkerl, XIXème siècle. |
Et quelle ne fut pas sa surprise quand il vit le rapace transpercé
par une seule flèche du héros! Ensuite, Héraclès rompt les chaînes
de Prométhée et, pour ne pas contrarier Zeus qui s’était juré
autrefois de le garder attaché, il les remplace par des liens
d’oliviers ; par la même occasion, il fournit à son divin père
le malheureux Chiron -l’immortel centaure que le héros avait involontairement
blessé lors de son quatrième travail-qui acceptait de mourir en
échange de Prométhée. Après sa libération, le Titan consent à
aider Héraclès dans sa quête : il lui décrit avec précision le
chemin qu’il doit prendre et lui dévoile ses futures péripéties.
Sans plus attendre, le héros se lance de nouveau vers l’Extrême
Occident en suivant scrupuleusement les conseils prodigués par
Prométhée ; quittant le Caucase, il rejoint la Thrace et le nord
de la Grèce par le détroit du Bosphore, en quelques semaines de
marche il atteint le pays des Ligures (au nord de l’Italie et
au sud de la France) où, comme le lui avait prédit le Titan, il
est attaqué par des indigènes locaux tellement nombreux que les
flèches viennent à lui manquer ; le sol trop mou ne lui offre
aucun type de projectile pour exterminer les derniers survivants
et c’est Zeus lui-même qui fait tomber une avalanche de pierres
pour aider son fils à chasser les belliqueux latins. Héraclès
poursuit sa route et franchit les Pyrénées pour la seconde fois
dans ce onzième travail.
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Hercule dans le jardin
des
Hespérides, huile sur toile,
Pierre Paul
Rubens, XVIIème siècle. |
Hercule cueille les pommes
d'or, Georges Desvallière, XXème siècle. |
Hercule luttant contre
le serpent, XVIIème siècle. |
De
nouveau il traverse la péninsule ibérique et, sur les conseils
de Prométhée, il enjambe le détroit de Gibraltar afin de rencontrer
le Titan Atlas : ce dernier est le seul à pouvoir aider le héros
dans sa quête des pommes d’or car le jardin des Hespérides est
une région extra-océanique réservée uniquement aux immortels.
Arrivé sur la pointe nord du continent africain, Héraclès découvre
l’immense Atlas courbé sous le poids de la voûte céleste qu’il
est chargé de supporter depuis la défaite des Titans contre les
dieux de l’Olympe ; c’est tout naturellement que le héros relate
à Atlas les raisons de sa visite. Après avoir écouté avec la plus
grande attention, le Titan accepte sans hésiter de se rendre au
jardin des Hespérides pour y cueillir trois malheureuses pommes mais
il explique à Héraclès qu’il ne peut pas se déplacer sans lui
laisser son terrible fardeau. Impatient d’obtenir enfin ces pommes,
le héros accepte le marché sans broncher et il endosse sur ses
épaules le poids du ciel tandis que le Titan Atlas s’éloigne d’un
pas léger, tout heureux de s’être débarrasser un moment de sa
douloureuse charge. Le cou endolori, les épaules en feu, Héraclès
attend patiemment le retour de la cueillette mais ne voyant personne
à l’horizon il commence à se demander si Atlas n’a pas pris goût
à sa nouvelle liberté. Et, en effet, c’est après plusieurs heures
de promenade que le Titan apparaît enfin, trois fruits d’or à
la main, bien décidé à profiter encore un peu du bon temps. Sans
lui demander son avis, Atlas se propose d’aller porter lui-même
les pommes à Eurysthée. Conscient du risque qui pèse sur lui,
Héraclès utilise une ruse infaillible: il feint d’accepter le
service du Titan et le prie de reprendre le poids du ciel, pour
quelques secondes seulement, le temps de trouver un bon coussin
pour ses cervicales. Atlas pose les pommes d’or sur le sol et
reprend la voûte céleste en toute confiance ; mais quand il aperçoit
le héros ramasser les fruits qu’il a cueillis et s’éloigner avec
un geste d’adieu, il se rend bien compte qu’il a été piégé de
la manière la plus stupide. Dans une colère noire, immobilisé
par le poids du ciel, Atlas profère insultes et menaces tandis
que le héros entame le chemin du retour vers la Grèce sous les
grondements sourds du Titan humilié.
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Hercule soutenant le
monde, dessin,
Annibale Carracci, XVIIème siècle. |
Héraclès
reçoit d'Atlas les pommes d'or, métope
du temple de Zeus à
Olympie, Vème avJC. |
En quelques semaines, Héraclès rejoint
la Grèce en traversant l’Espagne, le sud de la France et le nord
de l’Italie sans aucune complication. Après un si long voyage
autour de la Méditerranée, il est content de présenter les fruits
sacrés à Eurysthée dans son palais mycénien. Ce dernier les contemple
longuement et, sans doute conscient de leur caractère inviolable,
il préfère en faire cadeau à celui qui les a dérobé. Le héros,
décontenancé par le comportement du roi, est bien décidé à se
débarrasser d’une si lourde possession ; il demande à quitter
le palais pendant quelques heures et, quand il se retrouve aux
portes de la ville pour y enfouir les fruits d’or, la déesse Athéna
lui apparaît. Elle lui explique que les pommes n’ont rien à faire
dans le monde des mortels et que leur place ne peut être ailleurs
que dans le jardin des Hespérides. Sans hésiter, Héraclès rend
à sa déesse protectrice ces objets tant convoités par les hommes et
celle-ci disparaît comme elle était venue. Une nouvelle fois,
le héros voit s’échapper le but matériel de son travail : les
pommes d’or, à peine conquises, s’en retournent à cet Au-Delà
mystérieux qui enveloppe le monde des hommes.
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Les pommes des Hespérides,
bronze, Norman Sunshine, 2002. |