e huitième travail va conduire le héros dans les régions nord
du monde grec, là où vivent les sombres peuples barbares. En effet,
Eurysthée ordonne à Héraclès de se rendre en Thrace (territoires
répartis de nos jours entre Bulgarie, Grèce et Turquie occidentale)
afin de subtiliser les quatre juments carnivores de Diomède. Ce
dernier est le fils d’Arès, dieu de la guerre, et de la néréide
Cyrène, et il règne en maître sur les cruels Bistones, peuple
querelleur de la contrée thrace. Pour la première fois depuis
le début de ses travaux, le succès d’Héraclès passait donc par
un combat contre une armée belliqueuse.
Sans doute intéressé par la conquête de la Thrace, Eurysthée autorise
au héros de constituer une troupe de volontaires afin de vaincre
plus aisément les barbares. Même si Héraclès est persuadé qu’il
est assez fort pour dérouter seul n’importe quelle armada, il
cède finalement face à l’obstination des hommes les plus motivés.
Parmi ceux-ci figure l’un de ses amis nommé Abdéros, originaire
de la cité d’Oponte en Locride et fils du dieu Hermès ; le héros
lui fait tellement confiance qu’il le charge d’organiser la traversée
en bateau. Quand s’achèvent les préparatifs et que l’équipe est
prête à mettre les voiles, Héraclès fait savoir qu’il ne les accompagnerait
pas sur la mer Egée…le héros abandonnerait-il ces compagnons de
peur de devoir affronter les Bistones ? Évidemment non, en fait,
il préfère faire le voyage en marchant plutôt que de supporter
l’incessant tangage du navire ; il leur donne rendez-vous sur
place, en Thrace. Il quitte donc Mycènes et entame une très longue
promenade que seule une extraordinaire constitution physique pouvait
lui permettre de surmonter… et tout cela à cause de son mal de
mer!
Le héros traverse l’isthme du Péloponnèse, puis la Béotie avant d’atteindre
la Thessalie. Là, quelque peu fatigué, il décide de faire une
petite halte chez son ami Admète, souverain de Thessalie. Mais
ce qu’Héraclès ne sait pas c’est que son hôte vit un moment très
difficile.
En effet, le pauvre Admète vient de perdre Alceste sa tendre épouse ;
et toute la maison, parents et serviteurs, pleure le sacrifice
de la reine. La cause de cette mort remonte à quelques années
auparavant et elle implique deux dieux de l’Olympe : à la suite
de la mort de son fils Esculape causée par Zeus, Apollon massacre
en retour les ouvriers du souverain de tous les dieux, les cyclopes
primitifs. Zeus décide alors de le punir pour cette basse vengeance
et il lui impose un an d’esclavage sur terre lui choisissant pour
maître…le malheureux Admète. L’année de châtiment d’Apollon va
se dérouler au mieux, il se lie rapidement d’amitié avec Admète,
Alceste et avec tous les serviteurs du palais royal. Un jour,
il découvre que les trois Parques (Clotho, Lachésis et Atropos)
s’apprêtent à couper le fil de la destinée d’Admète ! Apollon
met vite au courant le roi de Thessalie et lui annonce que son
unique sursis serait de trouver la belle âme qui accepterait de
mourir à sa place… Après le refus successif de ses vieux parents
et de ses meilleurs amis, il s’en va trouver, désespéré, celle
qu’il aime le plus au monde, son épouse Alceste ; cette dernière
n’hésite pas une seule seconde et dans un élan de courage et d’abnégation
elle accepte de se sacrifier corps et âme à son mari… en embrassant
sa femme il s’aperçoit qu’il serre un corps déjà sans vie. C’est
donc peu de temps après la mort d’Alceste qu’arrive Héraclès ;
celui-ci est impatient de revoir son vieil ami, et il est bien
décidé à profiter au maximum de son séjour avant de partir au
combat. Admète l’accueille chaleureusement en habits sombres. Le
héros, ennuyé et confus, se propose de passer son chemin et de
le laisser en paix, mais le maître des lieux, au contraire, lui
offre l’hospitalité et le reçoit noblement. Il reste très évasif
quant à l’identité de la défunte et s’empresse de faire conduire
Héraclès loin des lieux des funérailles.
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La mort d'Alceste ou
l'Héroïne de l'amour
conjugal, huile sur toile, Zurbarán. |
Hermès et hercule
ramenant Alceste des Enfers,
amphore à figures noires,
530-520 avJC. |
Ce dernier se retrouve donc seul à dîner et, sans se soucier de
rien, il réclame aux domestiques les mets les plus exquis, les
vins les plus raffinés…qu’il ingurgite aussi vite qu’ils sont
venus. Après s’être repu et enivré, il chante à tue-tête, hurle,
ri aux éclats devant des domestiques indignés par sa conduite ;
l’un d’eux se risque d’ailleurs à lui faire remarquer que son
comportement indécent offense la cérémonie funèbre ; mais pourquoi
se sentirait-il affecté par la mort d’une étrangère? Héraclès
commence à sentir qu’on lui cache quelque chose ; au moment où
un valet lui rempli son verre de vin il lui saisit son bras :
va-t-on enfin lui expliquer ce qui se passe vraiment ? le pauvre
domestique sait très bien qu’il ne faut pas plaisanter avec un
Héraclès en colère et encore moins quand il nous tient le bras…Il
révèle alors au héros qu’il ne s’agit en rien de funérailles ordinaires
mais bien ceux de la reine Alceste. Héraclès encaisse durement
le coup, son ami Admète ne lui avait rien raconté par excès d’hospitalité
et il s’était saoulé sans se rendre compte de rien ; inondé de
remords il tente de trouver le moyen de se repentir. Le lendemain
matin, de retour à son palais, Admète, encore bouleversé par le
sacrifice de son épouse, apprend qu’Héraclès est revenu d’une
virée nocturne. Inquiet, il s’en va prendre des nouvelles. A sa
grande stupeur, il découvre son hôte accompagné d’une femme qui
se trouve être…Alceste. Héraclès était allé la chercher dans l’Hadès
(le monde des morts) et l’avait ramenée dans la nuit ; ébahi par
cette vision, Admète ne pouvait que constater la dualité du héros
successivement naïf et stupide, maladroit et fruste, puis honteux
et repentant, enfin, certain de sa force, il défie la mort pour
réparer ses erreurs…cet épisode résume à lui seul les qualités
et les défauts d’Héraclès. Satisfait d’avoir réuni le couple royal,
le héros repart en direction du nord non sans avoir reçu de chaleureux
adieux d’Alceste et d’Admète.
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Hercule luttant contre
la mort pour le corps d'Alceste, 1871, Leighton |
Le reste du trajet n’est qu’une formalité, il traverse la Macédoine
puis la Chalcidique sans aucun contretemps et atteint finalement
la Thrace. Son flair légendaire lui permet de localiser les écuries
royales de Diomède : il découvre, enchaînées à leur abreuvoir,
les quatre juments en train de dévorer les restes d’un voyageur
égaré. Héraclès ne perd pas de temps et, jouant de sa massue,
il écrase le crâne des gardiens pétrifiés par la peur et détache
les horribles équidés. Mais au moment où il s’apprête à dérober
les juments, l’alerte est donnée : les Bistones se rassemble derrière
leur chef Diomède et se jettent sur les traces du voleur. Héraclès
atteint rapidement les plages égéennes où l’attendent Abdéros
et les autres volontaires qui languissent depuis plusieurs jours
au large des côtes. Le héros leur promet de l’action car les barbares
se sont révoltés et ils n’ont pas l’air spécialement paisible.
Avant de partir au combat, il confie les juments anthropophages
à son fidèle Abdéros non sans l’avoir averti que ces pouliches
avait la fâcheuse tendance de croquer des humains…
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Diomède dévoré
par ses chevaux, huile
sur toile, Gustave Moreau, XIXème
siècle. |
Diomède,
huile sur toile,
Gustave Moreau, 1851. |
Le combat fait rage entre les deux troupes : fidèle à lui-même,
Héraclès anéantit la majorité des Bistones en les martelant de
son gourdin ; devant la rage du héros, les survivants battent
en retraite ce qui sonne le glas de la fière armée thrace. Le
butin qu’on apporte à Héraclès n’est pas négligeable, en effet
ses fidèles compagnons ont capturé Diomède, le roi de Thrace.
Toutefois, la joie de la victoire militaire est de courte durée …
quand le héros et son équipe regagnent le navire, ils s’aperçoivent
que les juments ne sont plus surveillées par personne, autrement
dit, le malheureux Abdéros avait été dévoré par les boulimiques
équidés. Fou de colère et envahi par le chagrin, Héraclès jette
le cruel Diomède dans l’auge de ses propres bêtes, il rend ainsi
justice à son défunt ami et à tous les voyageurs qui succombèrent
dans les écuries thraces.
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Hercule et Diomède,
huile sur toile, Pierre Gros, 1835. |
Hercule et Diomède,
huile sur toile, Charles Lebrun, XVIIème siècle. |
Hercule et Diomède,
dessin, anonyme italien, XVIème siècle. |
Avant d’embarquer pour Mycènes, Héraclès donne une nouvelle preuve de son bon cœur :
tout près de la tombe d’Abdéros il fonde en son honneur la cité
d’Abdéra laissant ainsi sur les bords de la mer Egée le souvenir
d’un ami sincère.
Comme il était convenu, le héros présenta à
Eurysthée les juments anthropophages de feu Diomède validant par-là
même son huitième travail. Mais le roi de Mycènes, indiscutablement
peu téméraire, relâche dans la nature les quatre montures qui
gagnèrent un peu plus tard le mont Olympe où, selon certains,
elles furent dévorées par des bêtes sauvages ; selon d’autres
sources, elles furent sacrifiées à la déesse Héra et on dit que
leur descendance se perpétua jusqu’aux temps d’Alexandre le Grand.