Le héros séduisant la belle Hippolyté.




éraclès n’a à peine le temps de souffler qu’Eurysthée lui assigne une nouvelle épreuve. Le roi de Mycènes cède à tous les caprices de sa fille Admète et celle-ci exige expressément qu’on lui rapporte la ceinture d’or d’Hippolyté, la reine des amazones. Ce peuple guerrier est uniquement composé de femmes, elles ne connaissent ni la pudeur ni la pitié et sont célèbres pour leurs coutumes sauvages et cruelles, elles s’unissent aux hommes (avant de les assassiner) uniquement pour perpétuer la lignée féminine abandonnant ou tuant les nourrissons de sexe mâle ; on raconte aussi que, arrivées à l’âge de se battre, elles se coupent le sein droit pour mieux manier l’arc et le glaive et n‘épargnent leur sein gauche seulement pour pouvoir allaiter leurs filles. Héraclès sait donc ce qu’il lui reste à faire et il met le cap vers l’est en direction de la Bithynie (au bord de la mer Noire, dans l’actuelle Turquie) ; accompagné par un groupe de volontaires il s’embarque donc une nouvelle fois à bord d’un navire.

En raison du climat défavorable la traversée de la mer Egée s’interrompt brusquement sur l’île de Paros, célèbre pour la pureté de son marbre blanc. La petite armée réalise rapidement que l’archipel n’a rien de paradisiaque quand deux des compagnons d’Héraclès sont abattus par des flèches à leur descente sur la plage. Les auteurs de se double meurtre ne sont autres que les quatre fils du roi Minos: Eurymédon, Chrysès, Néphalion et Philolaos ; ces derniers aimaient à prendre pour cible les pauvres voyageurs et naufragés qui avaient la malchance de s’échouer sur l’île. Cependant, cette fois-ci se sont eux qui jouent de malchance : à peine ont-ils le temps de voir leurs deux victimes tomber au sol qu’Héraclès est déjà en train de se précipiter sur eux brandissant sa massue et hurlant sa colère d’autant plus que les traversées en bateau le rendait particulièrement nerveux. En deux temps trois mouvements le héros écrase son arme sur le crâne des insouciants fils du roi de Crète et les tuent sur le coup. Mais Héraclès ne s’arrête pas là, il continue dans son élan, animé par une rage inassouvie, et s’attaque aux habitants de l’île, à l’intérieur même de la ville. Il fracasse les maisons, défonce les palais, écrase les récoltes… bref, le héros se convertit en véritable tornade dévastatrice. Pour apaiser cette furie la population décide de lui envoyer une ambassade capable de calmer les esprits ; profitant d’un moment de répit, les diplomates proposent au bouillonnant Héraclès de choisir deux hommes de l’île de Paros en remplacement de ses deux défunts compagnons. Le héros accepte le marché, il met fin à ses ravages et choisit les robustes Alcéos et Sthénélos, les deux rejetons d’Androgée (lui-même fils de Minos et de Pasiphaé), pour substituer la perte de deux de ses soldats. Héraclès reprend donc la mer avec le même nombre de combattants qu’à son arrivée sur l’île. Les habitants de Paros ne sont pas mécontents de voir s’éloigner la flotte de cet homme caractériel qui détruisit leur ville sur un coup de colère.

Après plusieurs jours de navigation qui paraissent durer une éternité, Héraclès et son armée atteignent enfin les bords du continent en arrivant en Mysie (en actuelle Turquie). Là, le héros et sa bande trouvent la généreuse hospitalité de Lycos, un homme constamment en guerre contre le peuple des Bébryces. Toujours aussi serviable, Héraclès donne un petit coup de main à son hôte en exterminant à lui tout seul la totalité de l’armée ennemie ; il offre alors à Lycos l’immense région qu’il subtilise aux Bébryces, le territoire ainsi constitué fut dénommé Héraclée. Mais Héraclès n’en a pas fini, il doit pénétrer plus loin dans les terres orientales pour trouver le royaume des amazones ; pour cela la petite armée traverse la Dardanie pour embarquer dans un port de la mer de Marmara, de là ils atteignent la mer Noire et après de longs jours de navigation, ils jettent l’ancre dans le port de Thémycire (Yhemiscra) en Bithynie.

Hercule et Hippolyté, dessin,
Charles Lameire, XXème siècle.
Hercule et Hippolyté, huile sur toile,
Pierre Paul Rubens, XVIIème siècle.
Hercule prend la ceinture à Hippolyté,
bronze, Paul Manship, 1966

A la grande surprise d’Héraclès, Hippolyté lui rend visite dès qu’il met pied à terre, sans la moindre intention belliqueuse, comme s’il s’agissait de la réception d’un hôte de la plus haute autorité. En descendant du navire, tous sont subjugués par la beauté sauvage de la reine, ses vêtements, composés de morceaux de fourrures hirsutes, laissent entrevoir une peau brunie par le soleil, des bras musclés par les combats à l’épée et de longues jambes sculptées tout au long de l’année par ses excursions à cheval, monté "en amazone". Héraclès aussi a les yeux fixés sur la reine mais pas pour les mêmes raisons : son regard se dirige vers l’objet de sa venue en Bithynie, à savoir la ceinture d’or qui enveloppe la fine taille d’Hippolyté. Cet objet incarne la suprématie que lui offrit son père Arès (le dieu de la guerre) sur le peuple des amazones ; autant dire que l’objet qui ceignait la reine était bien plus qu’une simple parure, il représentait bel et bien son pouvoir moral et militaire, ce qui compliquait quelque peu les desseins du héros…

La charmante Hippolyté invite alors Héraclès, comme dans tout bon protocole, à l’entretenir en privé au sujet de sa venue en terres amazones, ce à quoi consent le héros sans aucune méfiance. Une fois n’est pas coutume, son attitude calme et pondérée allait enfin pouvoir lui permettre de résoudre l’un de ses travaux sans verser la moindre goutte de sang…du moins l’espérait-il. De ce tête-à-tête nous ne connaissons que très peu de détails, toujours est-il que le héros plait beaucoup à Hippolyté, sans doute séduite par ses puissants pectoraux et sa barbe foisonnante, et qu’il se permet de révéler à la reine, sans rien occulter, la raison de son arrivée en Bithynie. Après avoir écouté très attentivement le récit du héros, la reine, envoûtée et conquise, lui promet son merveilleux ceinturon d’or qu’elle dégrafe assez vite…

Mais le destin d’Héraclès était décidément écrit en lettre de sang, surtout dans les moments où il s’y attendait le moins ; en effet, la méchante Héra s’était résolue à contrecarrer les plans de l’homme qu’elle détestait le plus au monde. Pour cela, la déesse s’était déguisé en amazone et répandait la rumeur d’une incursion étrangère visant à enlever la reine. Il n’en faut pas moins aux amazones pour prendre leurs montures et de fondre sur le campement d’Héraclès. C’est au petit matin que le héros se réveille au bruit sourd d’une armée au galop ; les sens aux aguets, il scrute l’horizon et aperçoit les milliers de cavalières enragées prêtes à l’attaquer, lui et ses compagnons. Fidèle à son manque de clairvoyance, Héraclès est alors convaincu de la trahison d’Hippolyté, il comprenait maintenant l’accueil pacifique de la reine qui n’avait été en fait qu’un moyen de l’amadouer. Aveuglé par la colère, il se jette sauvagement sur la pauvre reine endormie et lui assène un coup mortel sans qu’elle n’ait eu le temps de s’éveiller : la brutalité de cette mort s’ajoutait à son injustice, le tempérament inconstant du héros, associé à la malveillance d’Héra, avait provoqué la mort de la belle et généreuse reine des amazones. Dans la hâte, Héraclès arrache la ceinture d’or du corps d’Hippolyté et réunit ses hommes pour embarquer au plus vite. Avant de quitter les lieux, le héros a juste le temps de massacrer une petite centaine de guerrières acharnées en faisant tournoyer sa célèbre massue.

Hercule contre les amazones, amphore
à figures noires, VIème avJC.
Amazonomachie, frise du mausolée
d'Halicarnasse, 350 avJC.

Le navire s’éloigne au large de la mer Noire laissant le chaos le plus total au pays des amazones. Durant la traversée, Héraclès put repenser tranquillement aux événements qui venaient de survenir mais il était bien loin d’imaginer que l’intervention d’Héra avait faillit lui être fatale et la rancunière déesse n’en avait pas encore fini avec lui. Toujours est-il que le héros est maintenant en possession de la ceinture d’Hippolyté et il est bien décidé à la remettre coûte que coûte à la fille d’Eurysthée. La traversée dure plusieurs jours avant que l’embarcation ne fasse escale au port de Troie, la célèbre cité grecque.

Cependant, ce qui devait être une simple halte va se convertir en nouvel épisode héroïque. En effet, lorsque Héraclès et ses compagnons atteignent les côtes de Dardanie ils aperçoivent, enchaînée à un rocher de la falaise, une jeune fille terrorisée par la présence d’un gigantesque monstre marin que l’embarcation a peine à contourner. Cette scène intrigue le héros et celui-ci s’empresse de débarquer dans le prestigieux port de Troie. Sur place, il apprend bien vite que la donzelle qui se débat pour sortir de ses chaînes n’est autre que la princesse Hésione, fille du roi Laomédon. Ce dernier avait eu l’audace de refuser de payer deux extraordinaires ouvriers après que ceux-ci aient fortifié la cité de Pergame (située au sud de Troie). Or il s’avéra que ces deux formidables bâtisseurs n’était autre que Poséidon et Apollon : les deux dieux s’étaient justement déguisés pour mettre à l’épreuve l’outrecuidance du roi. La punition divine fut cruelle puisque Apollon répandit une épidémie de peste dans la cité tandis que Poséidon envoyait le monstre marin pour tourmenter les navigateurs de la côte. Ainsi, quand l’infortuné Laomédon reçoit Héraclès dans son palais, son désespoir est infiniment grand ; il explique au héros que les oracles lui avaient prédit la fin de ses malheurs seulement s’il donnait sa fille en sacrifice au monstre des mers : la jeune Hésione était donc la victime de la déloyauté de son père. Sensible à ce genre d’injustice, Héraclès s’engage à sauver la princesse ; en échange, il réclame simplement que le roi lui cède ses superbes juments que Zeus lui avait offert en compensation de l’enlèvement de son fils Ganymède dont le dieu de l’Olympe était éperdument tombé amoureux… Laomédon lui donne sa parole d’honneur et le prie qu’il fasse au plus vite car la marée montante menace la vie d’Hésione. Sans plus attendre, le héros s’en va secourir la princesse. En quelques heures Héraclès atteint la côte et arrive juste à temps pour éviter que la jeune fille ne se fasse dévorer : Héraclès n’hésite pas et se jette de la falaise pour atterrir sur la tête visqueuse du titanesque poisson qui a juste le temps de voir s’abattre la massue du héros. L’impacte est colossal, le crâne du monstre se brise dans un énorme fracas projetant Héraclès dans la mer. Mais le héros refait rapidement surface, il se hisse jusqu’en haut de la falaise pour constater la mort de la bête et délivre Hésione de ses chaînes. Cependant, son succès va être quelque peu refroidi quand il ramène la princesse à son père. Comme il l’avait fait avec Poséidon et Apollon, ce dernier manque à sa parole et refuse de lui livrer la récompense promise : humilié, Héraclès quitte le palais et promet à Laomédon qu’il reviendrait lui faire la guerre ; le roi peut trembler car le héros tient toujours sa parole quand il est en colère!

Hercule sauvant Hésioné, dessin, école hollandaise, XVIIIème siècle.

Mais le temps lui est compté, Héraclès doit accomplir sa mission et pour cela il doit quitter Troie au plus vite et entamer le chemin du retour. Mais le trajet vers Mycènes ne se réalise pas sans obstacles, en effet, des courants défavorables emportent l’embarcation vers les côtes thraces s’échouant sur Ainos. Après quelques jours passés dans la cité ( où il fait la rencontre de deux fils de Poséidon : Poltys et Sarpédon, ce dernier trouvant la mort pour son impertinence), le héros met les voiles pour l’île de Thasos. Sur place, il mate les quelques habitants thraces pour offrir l’archipel à ses deux fidèles compagnons de substitution, Alcéos et Sthénélos ; la générosité d’Héraclès n’a pas de limite quand il faut récompenser des amis. Enfin, le bateau s’arrête au port de Toronè en Chalcidique où le héros a le temps de donner une bonne leçon à Polygonos et Télégonos (fils de Protée et petits-fils de Poséidon) lesquels avait eu l’audace de défier Héraclès en duel …(mal leur en a pris !).

Le reste du voyage fut beaucoup plus tranquille, en quelques jours, le navire rejoignît le port de Mycènes et le héros, exténué par la traversée, pût enfin remettre la ceinture d’or à Eurysthée. On raconte que sa fille Admète ne fut pas plus impressionnée que cela, il faut dire qu’il s’était écoulé pas mal de temps depuis le départ d’Héraclès ; toujours est-il que beaucoup de sang avait coulé pour céder aux caprices d’une princesse.


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